LA RUE NE GOUVERNE PAS sortir - braver le danger - souvent parce que nous avons pris peur - du bruit qu'a fait la vaisselle en s'entrechoquant - si proche - étrangement - cette fois - du bruit qu'a fait le meuble métallique en grinçant - que déjà nous avions identifié alors comme - si proche - étrangement - déjà - encore - de tous ces autres bruits si proches - que nous entendions - perpétuellement - jusqu'à ce que cela devienne - invivable - un seul son - lancinant - le même - sortir - pour ne plus l'entendre - ne plus entendre non plus - ne plus s'apercevoir - non plus - à quel autre son il ressemblait - et dehors - couper son arrogance en quatre - pour ne pas être déchiré - salement - par la menace de l'autre - car dehors - ce n'est pas le plus grave - dehors - ce pourrait être un endroit familier - que nous connaîtrions presque - dehors - on pourrait rester maître de quelque chose - dehors - ce pourrait même être chez nous - qui ne sommes jamais vraiment quelque part - comme si rien ne nous appartenait vraiment - au fond - comme si toujours - restaient au-dessus de nos têtes - des nappes noires - au centre desquelles s'agiteraient - des choses inconnues - des zones anonymes - des voies passantes - remuées de mouvements incompréhensibles - des territoires - enfin - où il est impossible de vivre - seulement passer - se rencontrer - errer - sans vie - sans nom - sans autre pouvoir que celui de résister - par la force de notre inertie - quelques millièmes de seconde - à la pression du destin qui aura décidé de nous écraser - et ces zones - et ces passages - ces aires floues - tous accumulés - entassés - imbriqués selon des agencements fractals - où chaque lueur terne n'est plus constituées que d'une infinité d'autres lueurs ternes - ces enchevêtrements grouillants - et tremblant - de silhouettes indistinctes - suintant de parfums indistincts - dessinant sur l'instant figé des signes indistincts - tout cet enfer noir et flou - se trouve - se rencontre en un seul quartier de notre imaginaire - un seul - la rue - là - car c'est la rue qui est terne - et trouble - et sale - et qui menace de nous broyer - de changer tout de nous - fondus si souvent dans ces possibilités qu'il advienne quelque chose - dans la promiscuité poisseuse du prochain - de celui qu'on souhaiterait à l'extérieur de nous - mais qui soudain s'y vautre - en nous - pour que simultanément - nous puissions plus que nous y découvrir aussi - vautré en lui - dans la rue - là où tout fusionne et tout pue - qu'on nettoie chaque jour mais qui toujours pue - toujours dégage la plainte pestilentielle de nos identités à tous - mêlées - et finalement celle de personne - à tel point qu'elle nous tue - puisque plus personne - nous ne sommes plus rien - alors il convient de nous atteler à notre survie - et faire taire la rue en nous - et rester quelqu'un - et ne pas se laisser aller - et déclarer solennellement que nous démarre ici - et que nous s'arrête là - et fixer des bornes - pour ne pas s'évanouir - devenir le patrimoine de nous-même - et toujours se battre - tenir la frontière - oublier les nappes noires au-dessus de nos têtes - ce non- nous à l'intérieur duquel nous craignons à chaque instant de sombrer - toujours se battre - toujours être là - d'ici à là en tout cas - mais clairement - indéfiniment - et le croire très fort - car la rue est sauvage - car la rue est autre - car la rue n'est personne - et la rue enfin - ne gouverne pas